En ces temps où la transparence est élevée à hauteur d'absolu, les larmes viennent troubler le regard, mettre du flou et de la profondeur. Insaisissables, feu et eau, elles débordent et déroutent. Elles ne cessent de déployer leur oeuvre de brouillage, de troubler le contour des phénomènes, de faire douter de la limite entre le dedans et le dehors. Qui s'y arrête s'attarde finalement à sa propre finitude et l'interroge, intrigué d'être à soi-même une énigme. Que peut-on percevoir à travers elles qui ne se verrait pas sans elles ? De quoi lavent-elles nos yeux ? De quoi nous délivrent-elles ? Qu'ont-elles à dire de l'homme ? Les larmes s'échappent dès lors que l'on tente de les systématiser, de les ordonner, de les contraindre. Elles ont un pouvoir subversif incontestable - et les mystiques l'avaient compris, d'où leur tentation toujours présente de les contrôler, de les expliquer, de les assécher. Quand il est partagé, l'instant des larmes suspend le temps, il devient présence. La suspension des larmes est aussi la manifestation de la déchirure et la possibilité de l'habiter.
Ce texte n'est pas un traité, mais plutôt une sorte de vagabondage qui voudrait encourager les personnes qui pleurent et qui en ont honte, ou encore celles qui s'interrogent sur ce qui leur arrive quand elles sont saisies par leurs larmes. Cette méditation reste ouverte, inachevée. Les larmes ont une lumière d'infini, elles indiquent un ailleurs. Elles se perdent et emmènent avec elles leur mystère. En exprimant l'inexprimable, en disant l'insupportable, elles aident à le vivre. Elles portent l'impossible jusque dans la joie, quand la grandeur de l'homme, découverte au creux de sa misère, pourrait le faire vaciller. Elles touchent à la transcendance, et ce n'est pas le moindre de leur mystère.
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