La poétique de Celan a profondément incisé la réflexion de Derrida, lui devenant indispensable pour repenser les questions de la date, de la crypte et du secret. De Schibboleth à Béliers et à son dernier séminaire, La bête et le souverain, Derrida s’est aussi intéressé au poème celanien comme lieu d’une souveraine solitude, d’une souveraineté autre, peut-être, quand il parle de lui-même. Cet essai tente d’analyser la portée du deuil et de la dette contractée par le philosophe à l’endroit du poète. De la rencontre entre Celan et Derrida, nulle archive ne saura témoigner. Le verbe «?témoigner?» évoque une sorte de mot de passe secret entre eux?: «?Niemand/ zeugt für den/ Zeugen?» et «?Die Welt ist fort, ich muss dich tragen?». Ces deux vers, Jacques Derrida incitait ses lecteurs à les apprendre par cœur pour deux raisons : d’abord, pour méditer sans fin le rapport à la langue, à l’idiome plutôt, de Celan, creusant, enfouissant, retournant sa langue dans la langue allemande?; ensuite, pour mesurer – relever, dit Derrida – la nécessaire et impossible épreuve de la traduction, cette question qui est non seulement l’un des enjeux les plus importants de la «?déconstruction?» mais aussi le foyer d’une éthique de la lecture.
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