On m'a demandé de monter une pièce intitulée La Mort de
Cuchulain. C'est la dernière d'une suite qui a pour thème sa
vie et sa mort. J'ai été choisi parce que je ne suis pas à la page,
pas à la mode comme la matière désuète dont est faite la
pièce. Je suis si vieux que j'ai oublié le nom de mon père et
de ma mère, à moins que je ne sois en effet, comme je l'affirme,
le fils de Talma ; il était si vieux que ses amis et connaissances
lisaient encore Virgile et Homère. Lorsqu'on m'a dit
que je pouvais agir à ma guise, j'ai écrit quelques principes
directeurs sur un morceau de journal. Je voulais un public
de cinquante ou cent personnes et, s'il en vient davantage, je
les prie de ne pas remuer les pieds ou de ne pas bavarder
lorsque les acteurs parlent. Comme je monte cette pièce
pour des gens que j'aime, il est improbable, j'en suis convaincu,
en cette époque ignoble, qu'ils soient plus nombreux
que ceux qui écoutèrent la première du Comus de Milton.
En la circonstance, ils doivent connaître les vieilles
épopées et les pièces de M. Yeats à ce sujet ; de tels gens, si
pauvres soient-ils, ont des bibliothèques personnelles. S'il y
en a plus de cent, je ne pourrai pas échapper à ceux qui
s'éduquent dans les Bibliothèques de prêt et choses semblables,
tous de faux savants, des pickpockets et des bonnes
femmes entêtées.
W.B. Yeats, La Mort de Cuchulain
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