C'est l'histoire politique, idéologique, culturelle et sociale du service
militaire en France jusqu'en 1914 que cet ouvrage se propose de retracer.
C'est tout d'abord une histoire politique : si la Révolution n'a pas inventé le
devoir de défense, elle l'a réinventé en lui donnant de nouvelles formes et en le
couplant avec une citoyenneté elle aussi nouvelle. Ce n'est pas une histoire
immobile : la loi Jourdan qui institutionnalise les «essais» de la Révolution
n'instaure pas pour autant le service militaire pour tous les Français. La distorsion
entre devoir universel de défense et service personnel et obligatoire dure trois
quarts de siècle et alimente le débat auquel donne lieu le vote des grandes lois
militaires. Celles de la Troisième République ne mettent pas fin à ce débat qui s'est
prolongé jusqu'à nos jours.
C'est aussi une histoire culturelle et sociale, celle des Français face au service
militaire, celle d'un dialogue entamé très tôt, dès la rédaction des cahiers de
doléances, entre eux et leurs dirigeants, sur ce que devrait être l'armée idéale.
Ce dialogue fut poursuivi tout au long du XIXe siècle par les ouvrages que les
Français ne cessèrent d'adresser aux assemblées et aux gouvernements et qui
dessinaient l'armée modèle. Ce dialogue fut parfois conflictuel avec l'État-nation
centralisateur dont la conscription était un nouvel instrument, instrument à
double tranchant tant il suscita de résistance dans certaines régions.
C'est enfin une histoire paradoxale. C'est en effet l'histoire des contradictions
fondatrices qui donnent à l'histoire militaire de la France son originalité, celle d'un
élément de l'exception française, celle d'une invention d'élites universalistes et
«antimilitaristes» qui tentèrent de l'imposer à des masses amilitaristes et à un
peuple qui, selon la formule d'un général, peut être bon guerrier, voire le meilleur
guerrier du monde mais est mauvais militaire. Cette histoire est enfin celle d'une
hésitation permanente - qui traversa toutes les familles d'esprit et les groupes
politiques - entre deux modèles : l'armée doit-elle être le miroir de la cité et de la
société, une cité régénérée et une société démocratisée, ou doit-elle être «l'arche
sainte» qui donne l'exemple ?
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