De l'un à l'autre

Que dire du poète, de ce prospecteur
assidu, parcourant l'aridité des terres,
méticuleux dans sa tâche ancrée
dans l'entropie des mondes... sinon
que dans le chaos, le déconstruit, il
construit et reconstruit à nouveau
l'existence des hommes - l'annonce
d'une nouvelle espérance - sans jamais
y parvenir vraiment. Le délitement,
la dispersion des gestes quotidiens, à
nouveau rassemblés et toujours dans
l'aléatoire, telle est sa besogne. On
pourrait penser aussi à la tâche du
saunier dans sa quête de la fleur, qui lors de sa cueillette masquerait
l'acidité des cristaux pour tenter d'en adoucir le goût, comme le
fait Pierre Chappuis de la violence sous-jacente des mots - spasmes
humains éparpillés dans les espaces précaires de nos vies.

Les mots isolés, la densité compacte des plages texte, le blanc ;
tout semble flotter et miraculeusement - oserait-on dire - tout se
tient dans un désordre apparent, mais précis, soumis à son propre
rythme, ses à-coups, à des césures nécessaires pour maintenir
l'équilibre instable où prend source la vibration première des sens.

La feuille, comme la page, ont besoin d'air pour respirer. Le blanc
ou l'espace est là pour reprendre souffle, pour nous ramener au sein
de la lumière et d'un silence féconds après avoir traversé l'opacité de
la matière et laissé derrière nous l'embarras des gesticulations et des
préoccupations journalières. Si rien n'est épargné dans ce cheminement,
rien non plus ne sera économisé pour le parcourir à nouveau.

Patiemment mise en oeuvre par la main de l'artisan, la filière de la pensée
se met en mouvement entre vergeures et pontuseaux. L'écriture trouve
sa maîtrise en dévoilant ses scansions et nous parle ainsi du déroulement
de la vie, des choses et des êtres qui nous entourent, sans pour autant
imposer le chemin assuré vers une hypothétique voie lactée.

Plus tard, le plomb dans l'attente de l'antique fusion, lettre après lettre,
formera le mot et ses liens ; il en ira de même du pigment, et c'est pour
la même pâte d'impression qu'ils seront fabriqués, assemblés, appliqués,
afin de cristalliser un champ privilégié - le texte calé, ordonné dans sa
page, tout comme l'image alternée.

L'écriture poétique de Pierre Chappuis est mise en place telle une oeuvre
graphique. C'est sans doute la raison de sa fraternelle identité aux arts
plastiques et ce livre qui tend à l'unité visuelle de diverses formes d'expression
en fait état, lié qu'il est d'affinité sensible aux artistes dont il
nous parle.

L'éditeur dans certaines de ses publications - parfois - pourrait se risquer
à parler d'un «ressemblant métamorphique» ; il faudrait pour cela que
le poète, dans sa minutieuse écriture, ne soit pas à l'affût du poids subtil
d'une virgule égarée, comme du léger interstice qui la sépare du mot.

C'est par ce type de démarche exigeante que Pierre Chappuis nous
interpelle dans ses proses poétiques, qu'il nous propose ses rencontres
tantôt furtives, tantôt dans la confiance renouvelée, ici ou ailleurs, dans
un champ en jachère, aux labours toujours recommencés. J.G.C.