De la docte ignorance
Cette nouvelle traduction de la Docte ignorance de Nicolas de Cues (1401-1464) a cherché à respecter le caractère progressif de l'ouvrage, en distinguant les trois livres comme autant de moments d'une initiation spirituelle. Il faut se garder, en effet, d'en rester aux analogies mathématiques du premier livre ; il faut monter jusqu'aux similitudes inscrites dans le grand Livre de la nature. Quant au troisième livre, il achève cette ascension mystique par une analyse des rapports entre le fidèle et le Christ. La Docte ignorance ne se contente donc pas de faire coïncider abstraitement les opposés, elle les fait concorder aussi dans le spectacle de l'univers, avant de les accoupler dans la personne du Messie. La Croix, paroxysme de souffrances, devient même chez le Cusain le socle fondateur des articles de foi de la descente aux enfers, de la résurrection et du jugement dernier.
Les thèses les plus audacieuses du Cusain n'ont pas fini de nous interpeller : outre le rejet de la Donation de Constantin (avant Valla), et son abandon du géocentrisme au profit d'un univers indéfini créé par contraction (avant Isaac Luria), sa manière très moderne de rapporter la descente aux enfers à la Crucifixion (avant Lefèvre) oblige à étendre son influence jusqu'à Lefèvre d'Étaples et ses disciples, voire jusqu'à Luther et Calvin.
Le catholicisme de Cues n'est pas celui de la Contre-Réforme : les censeurs des XVIe et XVIIe siècles, qui ont condamné Luther et Bruno, se doutaient-ils de l'origine cusaine de certaines thèses incriminées ? Sa pensée, en tout cas, est une invitation à forger aujourd'hui de nouvelles synthèses doctrinales, à l'école de la Docte ignorance.
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