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Pierre Loti, académicien et officier de la marine française, est un écrivain dont les œuvres ont été nourries par ses voyages à travers le monde. Ce livre présente son récit intitulé « Dans l’Inde des Grandes Palmes » Suivi de « Vers Bénarès »« Au-dessus des immenses plaines du pays de Tanjore, au-dessus du monde touffu des palmes qui se déploie comme la mer, un rocher se dresse, seul et colossal, surveillant depuis le commencement des âges cette région, dont il a vu pousser les forêts, surgir les villes et monter les temples. Il est une étrangeté géologique, une fantaisie des cataclysmes primitifs ; il ressemble au cimier d’un casque, ou à la proue d’un navire de Titans, qui serait à demi submergé là dans un océan de verdure. Il a deux cents mètres de haut ; rien ne prépare à sa présence dans ses alentours plats ; ses parois sont tellement lisses que, même en ce pays où la végétation triomphe de tout, aucune plante n’a pu s’y accrocher. Et les premiers Indiens, les grands mystiques d’autrefois, en ont fait naturellement un lieu d’adoration : on la patiemment creusé pendant des siècles pour y ménager, dans le roc vif, des galeries, des escaliers, de sombres temples ; au sommet, luisent des coupoles revêtues d’or étincelant, et chaque nuit, sans trêve depuis des millénaires, on allume tout en haut un feu sacré, que l’on voit, des lointains du Tanjore, briller comme un phare. Ce matin, la ville très indienne bâtie à ses pieds s’agite au lever du soleil plus que de coutume, car c’est demain grande solennité brahmanique ; en l’honneur de Vichnou, on prépare depuis hier d’innombrables guirlandes de fleurs jaunes. Les femmes, les jeunes filles, groupées autour des fontaines pour emplir leurs urnes en cuivre, ont mis déjà leurs parures de fête, leurs plus beaux bracelets, leurs boucles de nez et d’oreilles. Les zébus des attelages ont les cornes peinturlurées, dorées ; portent des colliers, des clochettes, des glands de verroteries. Les marchands de guirlandes gênent la circulation avec leurs étalages de fleurs en chapelets : œillets d’Inde, roses du Bengale, soucis, enfilés comme des perles, formant des colliers à plusieurs rangs, aussi gros que des boas, avec des pendeloques également en fleurs, et des entrelacs de fil d’or ; demain, tous les gens qui iront faire leurs dévotions, tous les dieux dans les temples, porteront sur leur poitrine de chair, de pierre ou de métal, ces ornements jaunes ou roses. Et les ménagères, aujourd’hui levées dès l’aube, se hâtent de tracer devant leur demeure, sur le sol de la chaussée qu’elles ont balayé soigneusement, des rosaces, des figures géométriques, avec cette poudre blanche que l’on tient en mains dans un petit sablier et que l’on répand en traînées fantaisistes, pareilles à des rubans entrecroisés. On n’ose plus marcher dans les rues, tant sont jolis tous ces dessins blancs, avec ces œillets jaunes piqués çà et là en terre, aux nœuds des réseaux de lignes. Mais le vent commence de souffler, amenant des tourmentes de cette poussière si rouge qui, dans l’Inde méridionale, donne une teinte un peu sanglante à toutes choses, et, de ce patient bariolage du sol, dans une heure rien ne restera plus...»