Il y a un paradoxe Corydon. André Gide estimait qu'il
n'avait jamais été plus utile au progrès de l'humanité
qu'en écrivant ces dialogues socratiques sur la pédérastie.
Mais, à ne considérer que ce texte, se risquerait-on
aujourd'hui à accompagner le «contemporain capital»
dans un tel jugement ? Et pourtant, qui peut nier l'importance
de ce geste trop oublié : publier Corydon ?
L'essai de Monique Nemer explore la portée et les
enjeux de la prise de parole gidienne sur l'homosexualité,
non au seul plan de l'histoire littéraire mais à celui,
plus large, de l'histoire des mentalités. Quels en furent le
contexte, les motivations et les prolongements, publics et
privés... et partant, quelle en fut la radicale singularité ?
Avec la publication, en 1924, de Corydon et, en 1926,
de Si le grain ne meurt, ses Mémoires, Gide fut bien le
premier grand écrivain européen à faire ce qu'il est convenu
d'appeler désormais son coming out. Ce que n'ont
fait ni Wilde ni Proust, ni Cocteau ni Montherlant. Car
Gide, lui, a choisi de dire et de se dire, à la première personne.
Et de mettre en jeu sa notoriété et son autorité
dans ce qui, plutôt qu'un aveu, était l'énoncé d'un fait
qu'il voulait indéniable, au revers de toutes les coalitions
assujettissant les homosexuels à une triple obligation de
mutisme, d'invisibilité et de négation d'eux-mêmes.
Pourquoi a-t-on gardé si peu de mémoire de ce combat
intellectuel, moral et finalement politique ? Il faut rendre
justice à la cause comme à la constance de celui qui la
défend : le «droit de cité» pour l'homosexualité, et de
citoyenneté pour l'homosexuel.
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