Le jeudi 23 avril 1896, dans sa chambre de la rue des Tonneliers à Marseille, un jeune poète de 18 ans, qui vient de faire paraître à compte d'auteur un recueil de vers symbolistes, reçoit la visite inattendue d'André Gide, de huit ans son aîné. Entre Edmond Jaloux et l'auteur de Paludes et du Voyage d'Urien dont il lit les oeuvres à la manière d'un bréviaire où pulser un sens à sa vie et à son engagement littéraire, c'est le début d'une longue amitié qui, sans être ni pour l'un ni pour l'autre de premier plan, durera avec ses cimes et ses creux jusqu'à la fin de leurs jours. La correspondance, inaugurée par cette première rencontre, constitue d'abord pour le plus jeune une véritable initiation morale et intellectuelle, jalonnée par ses lectures renouvelées des oeuvres de l'aîné - le «Récit de Ménalque», Les Nourritures terrestres et L'Immoraliste qu'il est l'un des premiers à comprendre - puis par l'écriture de ses premiers textes en prose qu'il soumet tremblant à son maître, enfin par l'attente fiévreuse de ses visites qu'il souhaiterait toujours plus fréquentes.
Cette amitié passionnée de l'apprenti poète pour l'écrivain déjà reconnu par une élite pourrait sembler disproportionnée, mais Gide, qui ressent une vive sympathie pour l'enthousiasme de ce néophyte, éprouve auprès de lui la force de l'influence en littérature en l'aidant à se découvrir romancier. Ces lettres, inédites pour l'essentiel, découvrent ainsi les débuts d'une aventure intellectuelle et montrent que l'éducation d'un esprit ne consiste pas à le faire pareil à soi, mais à développer sa profonde singularité, son «idio-syncrasie» aurait dit Gide. Elles redonnent aussi vie à Edmond Jaloux, que son oeuvre abondante, injustement oubliée, porta à l'Académie et dont le magistère, exercé notamment aux Nouvelles littéraires, fit de lui le critique le plus redouté de son temps.
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