Le 24 mai 1912, Jean-Richard Bloch (1884-1947) invite André Spire (1868-1966) à collaborer à sa « revue de civilisation et d'action révolutionnaire », L'Effort libre : « Je sens autour de ma génération une attente incroyable. De toutes parts me viennent des témoignages de ce besoin d'échapper au cauchemar intellectualiste et individualiste. L'Effort est mûr pour remplir cette place. Je suis prêt à y dévouer bien du temps et des forces. Mais seul je suis égal à rien. [...] Sommes-nous d'accord ? » Une amitié littéraire est née, et un débat critique.
Liés par un dense réseau de connaissances communes (Henri Hertz, Romain Rolland, Jacques Copeau, Albert Cohen, Ludmila Savitzky, Léon Bazalgette, Georges Duhamel, Daniel Halévy, Charles Vildrac...), ils représentent deux approches engagées de la condition juive moderne : Jean-Richard Bloch, comme romancier (... Et Compagnie, La Nuit kurde), directeur de revue et de collection, essayiste, et André Spire, comme poète (Poèmes juifs, Samael), essayiste et théoricien du vers libre (Plaisir poétique et plaisir musculaire).
La Grande Guerre brise bientôt leur élan : Jean-Richard Bloch est trois fois blessé, trois fois volontaire pour repartir au Front. André Spire, dans Nancy bombardé, reprend l'usine familiale qui va travailler pour l'armée. Animés d'un patriotisme à la fois instinctif et raisonné, ces deux Juifs français, d'origines alsacienne et lorraine, combattent aussi le pacifisme de certains de leurs amis de gauche, comme Romain Rolland, Pierre Jean Jouve ou Marcel Martinet.
Après la Conférence de la Paix (1919-1920) - période-clé de prise de conscience identitaire des Juifs français - les deux correspondants divergent sur l'urgence et l'opportunité d'accorder aux Juifs autonomie politique et foyer national, selon le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. André Spire restera toute sa vie le militant juif et sioniste qu'il est depuis le début du siècle ; Jean-Richard Bloch rejoint ses amis communistes. Aux côtés des socialistes et de Romain Rolland, il contribuera à fonder la revue Europe.
Les voyages de chacun - vers la Palestine en 1920 pour André Spire, en 1925 pour Jean-Richard Bloch, la mission de Spire dans les Carpathes en 1925, ou la découverte de l'URSS par Bloch en 1934 - rythment leur correspondance, tout comme la parution de leurs livres. Lors de la montée des périls des années trente, le militant Jean-Richard Bloch se rapproche à nouveau du parti communiste, alors qu'André Spire, homme de gauche, ne se rallie à aucun mouvement politique, mais s'engage autrement. Ils se retrouvent dans les rangs du Comité de Vigilance des Intellectuels antifascistes et dans d'autres organisations luttant contre l'hitlérisme et aidant les réfugiés. La Seconde Guerre mondiale les exile aux antipodes : Spire à New York, Bloch à Moscou. « Mais comment les circonstances se jouent-elles de nos desseins ? » se demande Jean-Richard Bloch, le 15 février 1947. Fort durement éprouvé par la guerre, il meurt peu de temps après.
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