L'amitié qui a uni André Gide et Maurice Denis est peu connue. Sans doute
parce que, entre le peintre catholique et le romancier hédoniste, on imagine mal
qu'un accord profond ait pu s'établir durablement. Et pourtant, les deux cent
trente lettres ici rassemblées témoignent de la persistance, sur une quarantaine
d'années, d'une estime et d'un attachement sincères. Ce qui les rapprocha, au
mois d'août 1892, fut une entreprise assez exceptionnelle ; ces deux débutants,
âgés de vingt-trois et vingt-quatre ans, allaient réaliser bien plus qu'un simple
livre illustré, une commune oeuvre d'art, où deux langages, l'écriture et le dessin,
s'accompagnent et se fécondent mutuellement. Quand il conçut Le Voyage
d'Urien, Gide n'était pas encore trop sûr de ce qu'il allait dire ; il peinait à se
différencier du symbolisme, tandis que Denis était déjà le théoricien du groupe
des Nabis ; et c'est en assistant à la naissance des illustrations qu'il fut encouragé
à mener à bien son projet. Ainsi l'oeuvre ultérieure de Maurice Denis allait-elle
avoir pour lui un intérêt particulier, comme le développement sur un autre plan
de sa propre pensée.
Nous participons ici à quelques moments majeurs de ce commerce intellectuel,
comme ce soir de janvier 1898, quand un parfait hasard les fait se rencontrer sur
une place de Rome : Gide, qui connaît déjà les lieux, sert de guide à Denis, et les
discussions qu'ils ont alors les aident à préciser de façon décisive leur évolution
vers un art fait de maîtrise et de discipline. Neuf ans plus tard, c'est Denis qui
entraîne Gide dans les musées d'Allemagne, où ce dernier trouve l'inspiration de
son Retour de l'Enfant prodigue.
Ponctuée par des faire-part de naissance illustrés par Maurice Denis,
cette correspondance d'artistes, à laquelle s'invitent parfois Marthe Denis et
Madeleine Gide, revêt aussi des aspects familiers. Il faudra attendre le lendemain
de la Grande Guerre pour que ces liens se distendent, la mort de Marthe Denis
coïncidant avec le premier différend idéologique entre les deux hommes.
C'est tout un pan de la vie artistique de la Belle Époque qui est ici restitué,
grâce à ces lettres mais aussi aux illustrations de Maurice Denis, souvent inédites,
qui les accompagnent.
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