Il n'est pas encore si loin le temps où la subjectivité romantique coupait
les oeuvres littéraires de leurs racines. Débarrassés enfin d'une lecture
réductrice, les Mémoires participent au renouveau du débat critique.
«Autobiographie judiciaire» d'un homme qui a frôlé l'accusation suprême,
ils contribuent à la réévaluation des mots-clés de la théorie juridique, par
l'éclairage porté sur leur évolution. Ainsi, de la lèse-majesté. Jusqu'à
présent, ancrée dans le droit romain, elle s'imposait pour certains comme
un modèle incontournable sous-jacent aux représentations théologico-politiques.
Mais les choses sont plus complexes. Observée à partir des
mailles fines et serrées de textes, elle surgit moins comme une catégorie
éternelle et sacrée que comme un instrument du politique, associé à un
moment donné de l'histoire d'un règne, à la volonté d'un homme. La publication
d'un des procès politiques inédit, celui de Louis de Luxembourg,
connétable de Saint-Pol, auquel Commynes ne consacre pas moins de trois
livres sur les huit des Mémoires, éclaire le débat. Évoluant entre catégorie
pénale et sentiments, la lèse-majesté y apparaît comme marquée au sceau
du pragmatisme politique. Elle est l'outil et le résultat d'une instrumentalisation
programmée par le pouvoir. Tout conduit à penser qu'une réalité
institutionnelle se cherche. Sans jamais verser dans une interrogation
iconoclaste, on préfèrera mettre en évidence la lente maturation d'une
notion qui sort de sa gangue. Cet essai, fondé sur un va-et-vient de la
réflexion au texte, est une indispensable «ouverture» avant la publication
des grands procès de Louis XI, un des chantiers majeurs de l'histoire politique
et judiciaire des prochaines années.
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