Dans Chute de Jupiter, deuxième volet de la trilogie Leur Mère à Tous, on retrouve l'héroïne Oum al Jami' et ses enfants dans les camps de réfugiés palestiniens de Jordanie. À travers la simple chronique de quelques bribes de vie quotidienne, Afnan El Qasem parvient à plonger le lecteur dans l'effervescence des camps où, en ce début des années 1970, la résistance commence à s'organiser. Mais si l'auteur a consacré une dédicace à Jean Genet qui renvoie aux fedayin de son Captif amoureux, ce n'est pas tant la résistance armée qui l'intéresse ici que cette résistance de l'ombre, «sumud» en arabe, qui aiguille toute l'énergie du peuple palestinien. Oum al-Jami' incarne cette pugnacité contre l'hostilité du quotidien, et cette force de l'espoir qui porte à reconstruire opiniâtrement, jour après jour. Ainsi les murs de cette école, qui ne cessent de s'écrouler et qu'à chaque fois on entreprend aussitôt de remonter, inlassablement. Les armes, les blessures, le sang, toujours omniprésents mais relégués aux marges de la scène, n'apparaissent que comme le prolongement de cet élan collectif vers la dignité.
Pièce en un acte, Chute de Jupiter est cependant, à travers tout un jeu de métamorphoses, une oeuvre complexe. Dans cet hymne à l'espoir envers et contre tout, les personnages sont l'épicentre d'une constante tension entre le bien et le mal. La folie menace à chaque instant, pas tant dans l'inversion classique des rôles entre le souverain et le bouffon, que dans ce dédoublement d'Oum al-Jami', à la fois reine et mère. Dans l'équation schizophrénique de ce texte, l'ennemi n'est pas cet autre lointain, retranché derrière sa frontière. L'ennemi, c'est d'abord le frère, l'être le plus habile en ces métamorphoses, le fils adoré et haï tout à la fois. Et l'on entrevoit aisément sous les traits du frère-ennemi, Hamad Abou Rich, se profiler l'image du roi Hussein de Jordanie, et derrière la débâcle finale le spectre de ce «septembre noir» de 1970, où il réprima dans le sang la résistance palestinienne. La dignité ainsi battue en brèche par le pouvoir, l'ambition et la jalousie, l'emporte cependant, dans une scène en forme d'apothéose à la lueur des incendies et des bombes qui transgresse les limites du représentable au théâtre, et où l'auteur renoue les doubles de son héroïne en un symbole d'unité retrouvée.
Vois-tu des rois devenir victimes?
We publiceren alleen reviews die voldoen aan de voorwaarden voor reviews. Bekijk onze voorwaarden voor reviews.