Chère Camille Claudel,
Comme j'aurais aimé vous connaître, vous rencontrer ! Ne serait-ce qu'une seule fois. Cela
aurait très bien pu se faire lorsque votre frère Paul Claudel, mon grand-père, est allé vous voir
en 1943 à Montdevergues, un mois avant votre disparition. J'avais 5 ans et mon grand-père a
dû penser que j'étais trop petite pour affronter cette épreuve...
C'est pour cela que j'entreprends aujourd'hui de vous écrire une très longue lettre que malheureusement
vous ne recevrez jamais comme ce fut le cas de toutes les lettres de correspondants,
amis et parents, qui ne vous ont jamais été remises à l'asile pendant ces trente interminables
années où vous viviez parmi les fous qui criaient, pleuraient, marmonnaient des phrases sans
queue ni tête, alors que vous aviez gardé un cerveau lucide malgré la persistance d'une «idée»
obsédante, amalgamée en vous comme une force en fusion. Cette «idée» a sournoisement envahi
votre intelligence et sclérosé votre flamboyante personnalité qui s'est peu à peu rouillée, réduite
à un souvenir. Pourtant quand je contemple votre visage sur la photo où vous êtes avec votre
amie Jessie, avec votre chapeau fatigué et votre manteau râpé, j'y surprends encore la lueur d'une
petite flamme qui dit :
Je suis toujours vivante, mes oeuvres parlent, elles entretiennent une complicité
avec le fruit d'un art vécu qui s'insurge contre la vilenie des hommes, un
art vécu intimement, dont l'expression est naturellement adéquate.
Vous ne lirez jamais cette lettre parce que vous avez quitté ce monde il y a 69 ans, mais
il me tenait à coeur de vous conter mon parcours en votre compagnie, depuis une quarantaine
d'années. Votre vie a été un roman, une épopée, dites-vous, comme Napoléon dans son Mémorial
à Sainte-Hélène, digne d'Homère. La mienne, entraînée par la vôtre, a été une succession de
découvertes, de joies, de déconvenues et parfois de grandes peines.
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