1771 mots
1771 grains de cendres échappés des fours crématoires. 1771, c’est le nombre total de mots qui composent ce poème, c’est la durée de l’averse de neige sous les hautes cheminées des fours. Le long d’une prose carbonisée, comme l’écrit Michel Host, Didier Bazy compose, la mine sur le papier, un poème de taiseux tout au silence, au nerf, à l’économie, aux absences et aux maux. C’est un poème qui se lit en rouleau, exactement comme lorsqu’on dit d’un corps qu’il en est arrivé au bout. C’est un testament dit dans la poussière, dans le vertige de l’alcool, dans l’épaule encastrée à même le mur et le ciment et la désespérance. Confronté à l’espace concentrationnaire le plus cruel, plongé dans l’enfer souterrain de la machine à démembrer l’âme et le corps (elle n’a pas de visage, cette machine, mais tout le monde la connaît), il n’y a plus guère que le langage qui puisse offrir une alternative à la noirceur et à l’anesthésie. Cette langue prend la forme de cendres : résidus de matière en suspension, jadis incandescente, à présent calcinée, témoin d’une flamme encore présente.
Ce livre fort, poème des entrailles, aigu et fulgurant comme une douleur soudaine, est aux croisements des langues et des littératures qui ne connaissent pas de frontières et qui nous donnent à boire les cauchemars de notre humanité. Thomas Bernhard, Alicia Kozameh, Imre Kertész sont de celles-là.
Il y a des surfaces rugueuses. Le ciment de la cellule. Ou la peau. La peau telle qu’elle devient dans les sous-sols.
Le bruit du métal. Les grilles frappant le mur humide. La gardienne fichant tous ses angles, son nez et ses dents, à l’entrée du pavillon, pour lâcher le hurlement : Il est interdit de râper des os sur le ciment, et vous le savez très bien.
Alicia Kozameh, « Esquisse des hauteurs » in La peau même en offrande, Zinnia Éditions, traduction Anne-Claire Huby, P.17
Initialement publié aux éditions Le grand souffle en 2005, Cendres est proposé dans une nouvelle version numérique déclinée en deux modes de lecture. Le texte est augmenté de fractions de toiles signées Pascal Blanchard, d’une lecture audio bouleversante de Jean-Claude Mathon et d’une postface de Michel Host. Cette incantation, empruntée à Toussaint Médine Shangô, en est la clé : « Vas-tu surgir, vieille âme inachevée... ? »
Guillaume Vissac
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