L'incroyable fréquence des voyages de Camille Saint-Saëns (1835-1921) interpella ses contemporains et constitue jusqu'à nos jours un objet de curiosité. Ce goût de l'ailleurs semble un des fondements de l'existence même du compositeur et un enjeu de carrière particulièrement fort. Saint-Saëns ne fut jamais autant à sa place qu'en voyage à l'étranger, lui qui acquit une renommée internationale et incarna mieux que quiconque la France musicale de la Belle Époque. Cette extrême mobilité de l'artiste offre un champ d'étude étonnamment large et propice au décloisonnement dont s'inspirent de plus en plus les disciplines universitaires.
Prônant une géomusicologie historique, cet essai aborde en plusieurs étapes le sens des pérégrinations du compositeur, considéré comme un acteur de la géopolitique musicale qui s'instaure à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Les voyages dans le monde anglo-saxon, en Amérique latine et en Grèce ancrent l'action de Saint-Saëns au coeur d'un grand nombre d'enjeux extramusicaux, notamment de nature politique. Premier musicien orientaliste de son temps, Saint-Saëns insère l'Égypte et l'Algérie à un Orient fantasmé où se pose la question du colonialisme et de l'altérité. Mais c'est vis à vis de l'Allemagne admirée et détestée que se joue, selon une stricte chronologie, l'articulation entre le nationalisme musical et l'interculturalité.
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