Dirigé par Jean Lefranc.
Inclassable Schopenhauer ! Sa métaphysique de la volonté se présente comme l’accomplissement de la philosophie critique de Kant ; pourtant elle est souvent caractérisée par le retour à un dogmatisme antérieur. La lecture de l’œuvre contredit toutes les étiquettes qui lui sont habituellement appliquées. - Irrationaliste ? Mais il a toujours opposé la rationalité du discours philosophique aux illuminismes et il veut que le philosophe soit le « sculpteur de la raison ». - Intuitionniste ? Mais il n’a pas eu assez de sarcasmes pour l’intuition intellectuelle de Fichte ou de Schelling. - Romantique ? Mais aucun de ses contemporains peut-être n’a autant cité Voltaire, Helvétius, des savants et des moralistes du siècle des Lumières.
Paradoxal Schopenhauer ! Plutôt que de reprendre à son propos les rubriques traditionnelles, il faudra faire apparaître les paradoxes majeurs : un idéalisme athée qui brise l’alternative confortable d’un idéalisme forcément spiritualiste et d’un athéisme inévitablement matérialiste ; une anthropologie pessimiste qui donne de la misère humaine une description quasi pascalienne, mais sans recours à aucune transcendance, puisque Dieu est mort, déjà tué par Kant. On imagine le scandale ! Schopenhauer a troublé les polémiques rituelles entre les tenants de la providence divine et ceux du progrès humaniste. La Sorbonne d’Edme Caro et de Paul Janet fulmine des réfutations attristées. Hautainement, Jules Lachelier réduit le pessimisme à une simple affaire de tempérament. Pourtant la métaphysique de la volonté, à la fin du XIXe siècle, intéresse les esprits scientifiques qui ne se résignent pas à un positivisme simplet. Mais surtout le pessimisme et l’athéisme s’accordent avec un esprit fin de siècle, déjà désabusé d’un progrès qui n’a apporté ni la paix ni la prospérité attendues du développement de la science, de la technique, du commerce. Le théisme occidental (l’expression est de Schopenhauer) doutait de lui-même et cherchait quelques repères dans les religions de l’Inde.
L’Europe intellectuelle de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle est profondément marquée par la pensée de Schopenhauer, de Wagner à Tolstoï, de Pirandello à Joseph Conrad. Les écrivains et les artistes ont reconnu en Schopenhauer un des leurs, ont admiré la pénétration de ses analyses morales et leur élargissement en une métaphysique de l’amour et de la mort.
Numérisation réalisée avec le soutien du CNL.
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