Dirigé par Jean-Louis Leutrat.
Le lecteur qui peut encore avoir la faiblesse d'éprouver un sentiment d'exaltation (charmante vieillerie pour certains des plus subtils et des plus savants de nos contemporains) devant telle page inspirée, a certainement de grandes difficultés à assouvir le vice impuni et inavouable qui le point : la page inspirée se fait rare de nos jours. Il reste donc à ceux qui considèrent comme par trop anémiée la littérature composée sur mesure qui leur est proposée la seule option d'aller voir ailleurs. Il serait alors bien étonnant que, dans leur solitude, ne leur ait point fait signe, d'une manière ou d'une autre, le ténébreux solitaire qui a pour nom Julien Gracq.
Julien Gracq s'est servi à plusieurs reprises de l'image du mancenillier (« le mancenillier abondant des lustres de Venise »). Cet arbre, on le sait, était réputé fatal à ceux qui venaient s'abriter sous son ombrage. Il ne fait aucun doute que s'exprime, dans les récits de l'écrivain, cette humeur noire de nos ancêtres. L'expression de « guetteur mélancolique » s'applique admirablement au personnage gracquien flanqué de son soleil noir. Inutile d'insister, c'est trop évident. Mais Gracq est aussi un mancenillier à la manière de Wagner : « Wagner est un magicien noir - c'est un mancenillier ci l'ombre mortelle - des forêts prises à la glu de sa musique il semble que ne puisse plus s'envoler après lui aucun oiseau. » La sorcellerie évocatoire de l'enchanteur Gracq, comment y échapper ? Comment résister à cette rhétorique dont on a dit qu'elle est une arme du solitaire ? Gracq ne néglige pas la part obscure qu'il y a en toute chose, son activité d'écrivain la lui rappelle constamment.
Numérisation réalisée avec le soutien du CNL.
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