Ceci est l'édition bilingue de l'un des livres les plus déroutants,
les plus poignants de la poésie russe du vingtième
siècle. Pourtant, hormis une publication très partielle dans
une revue confidentielle en 2002, il n'a pas encore vu le
jour en Russie. Le poète Guennadi Gor (1907-1981) ne
figure dans aucune anthologie ou histoire de la poésie
russe. Les raisons d'un tel silence sont d'ordre à la fois
idéologique et esthétique.
Tout d'abord, le poète s'est révélé à lui-même dans les
conditions exceptionnelles du siège de Léningrad, le plus
meurtrier de l'histoire, qui s'il n'occupe toujours pas la
place qui lui revient dans notre mémoire a été aussi fortement
élimé et défiguré en Union Soviétique, voire dans
la nouvelle Russie. Bien que Gor aborde un sujet tabou tel
que le cannibalisme provoqué par la terrible famine qui
fit plus d'un million de morts, son livre est toutefois à cent
lieues d'une chronique réaliste : ce sont les poèmes d'un
homme qui vécut le siège dans sa chair et dans son esprit,
jusqu'aux limites de l'horreur et de l'épouvante, du dicible,
et qui, par la poésie, va s'efforcer d'y échapper, de survivre
à la faim et à la folie toute proche, à la mort elle-même qui
se résorbe dans le rêve pareil aux fleuves purificateurs de
son enfance.
Poétiquement vierge au début de la guerre, Guennadi
Gor puise aux meilleures sources de la poésie russe, depuis
le folklore et Khlebnikov jusqu'à Mandelstam et Zabolotski,
sans oublier les Obérioutes Daniil Harms et Oleïnikov,
pour accéder à un laconisme dénué de toute l'emphase
propre au «classicisme» soviétique, à une diversité prosodique
et stylistique qui le font se dresser comme un soleil
noir parmi les poèmes inspirés par le blocus de Léningrad.
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