Les deux récits présentés ici, Au diable vauvert (1914) et Alatyr
(1915), offrent le tableau d'une Russie provinciale, burlesque et
colorée, à la veille du cataclysme de la Première Guerre mondiale
pour l'un, et de l'apocalypse révolutionnaire pour l'autre.
Historiquement daté - les allusions à l'Alliance franco-russe
permettent d'en situer l'action entre 1892 et 1914 -,
Au diable vauvert est dépourvu d'indications topographiques
précises. Il évoque le quotidien d'un détachement militaire
quelque part aux environs de la frontière chinoise, du côté de
la mer du Japon, en un lieu accessible uniquement par la mer.
La Censure devait interpréter ce récit comme
une «image profondément insultante des officiers russes».
Alatyr, ville inventée dont le nom est aussi celui de la pierre
légendaire des contes russes, vient compléter l'exploration
imaginaire de l'ancienne Russie effectuée par l'auteur.
Paradis originel qui, bien souvent, s'apparente à un enfer,
la cité d'Alatyr est peuplée de bêtes craintives ou sauvages.
La Censure reprochera à Zamiatine d'y avoir campé
des personnages «qui n'ont pas figure humaine».
Evgueni Zamiatine est perçu par nombre de ses
contemporains, dès la parution de ses premiers récits, comme
un nouveau Gogol, ce qui ne doit rien au hasard. En effet,
à travers les plaisanteries grasses des soldats d'Au diable vauvert
ou les rêves des jeunes filles d'Alatyr, Zamiatine fait rire,
de même que Gogol dans Les Âmes mortes. Mais l'auteur qui,
de son propre aveu, souffre d'hérésie chronique et tient la vie
pour une tragédie, rappelle à la fin de chaque récit
que son rire est avant tout une politesse du désespoir.
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