Archiver la Voie Rapide
Généalogie
Quatre feuilles dactylographiées, découpées et collées sur l'un des registres des délibérations municipales informent que le 17 octobre 1940 Jean Médecin, Sénateur-Maire de Nice, s'est exprimé ainsi : « J'ai été convoqué par M. le Préfet le 8 octobre 1940 pr. examiner avec M. Champsaur, Ingénieur des Pont et Chaussées en mission au Ministère des Finances, les conditions dans lesquelles pourraient être ouverts très rapidement dans le Département des Alpes-Maritimes de grands chantiers de travaux en vue d'occuper les ouvriers au chômage. » Puis il ajoute, « l'un de ces projets consiste dans la création d'une voie de dégagement vers le Nord et l'Ouest de Nice ». Cette voie, pensait-il, allait permettre « une économie de parcours » d'environ 4,5 kilomètres et sa mise en chantier pouvait être immédiate. Les travaux débuteront au second semestre 1940, s'arrêteront en 1942, faute de financements suffisants, reprendront en 1946 et seront relancés en 1949 après constatation de la dégradation accélérée de la chaussée. La « voie de dégagement » disparait dès lors des délibérations municipales archivées.
Qualification
C'est en 1956 que la « voie de dégagement » laisse place dans les registres de délibérations à un projet de route comparable. Mais la « pénétration » se substitue au « dégagement » ; la vole vise désormais la « traversée de Nice » d'est en ouest ; le trafic n'est plus à évacuer vers le nord-ouest. À partir de 1959, la route projetée est appelée « vole de pénétration à circulation rapide et accès limités », sans quelle ne soit assimilée au type de la « pénétrante » qui, à Nice, concerne celle du Paillon. Dans le courant des années 1960, l'« Autoroute Urbaine Sud » (AUS) s'impose comme nouveau nom, selon des termes évoquant donc sa supposée urbanité et la différenciant, géographiquement, de l'» Autoroute Urbaine Nord » (AUN), dédiée à la « circulation de transit ». En 1962, le Plan d'Urbanisme Directeur de la Ville de Nice, approuvé par le premier ministre, Georges Pompidou, le ministre de la Construction et celui de l'Intérieur, nous apprend également que la vole de pénétration... a pu être nommée l'« Express-Way », traduction de l'influence américaine en la matière. Cette même année, le colonel Bouvier, premier adjoint de Jean Médecin et un temps rival de Jacques Médecin, la nomme « Itinéraire de transit dans la traversée de Nice dit « Voie Rapide »». De fait, concisément, plus simplement, officiellement et communément, la route qui nous occupe est appelée la « Voie Rapide » par les Niçois, dont la municipalité, et elle le sera pour l'essentiel jusqu'à ce qu'elle soit baptisée, en 1998, « Voie Pierre Mathis » ou « Voie Mathis », nom de son concepteur principal, directeur général des travaux et services techniques de la Ville de 1956 à 1973, sous les mandats de Jean et Jacques Médecin.
Équiper le salon
En 1962, année charnière où la Voie Rapide est déclarée d'utilité publique, Pierre Mathis prononce une conférence intitulée « Nice, son équipement et son devenir ». Il y rappelle que la ville est « en pleine expansion - [qu'il] devrai[t] dire en pleine explosion », que 3500 logements y sont construits annuellement. Il y explique que le plan d'urbanisme - approuvé quelques mois après - répond à deux impératifs, « construire beaucoup pour satisfaire la demande de logement, sauvegarder la verdure et le site » et ce afin de conserver le potentiel touristique niçois. À ce sujet, Pierre Mathis fait sien un objectif de Jean Médecin, que Nice devienne « le salon de l'Europe », alors même qu'« elle n'est plus une station, [qu']elle est devenue une grande ville », « une métropole régionale » dont le premier équipement d'envergure ne sera d'autre que la « Voie Rapide ». En un sens, la Voie Rapide sera placée au milieu du salon sans y appartenir en raison de son isolement autoroutier ; son tablier fera aussi office de plafond le long des deux kilomètres de viaduc qui traverse le centre-ville.
InExsertion
La Voie Rapide est située au milieu du salon, car « la Ville est enserrée entre les collines et la mer » pour ne pas faire disparaître davantage la végétation des pentes littorales, car en plein tissu urbain, elle s'accole puis surplombe les voies ferrées, sans trop empiéter sur le patrimoine immobilier, bien que touchant pratiquement les immeubles adjacents. Avec ces immeubles, la Voie Rapide semble entretenir un rapport de proximité promiscuité ; certains d'entre eux ont été démolis ou sectionnés pour éviter tout rétrécissement de la chaussée. Pour d'autres, on pourrait presque imaginer enjamber le vide entre les surfaces bitumées et les logements à même hauteur. Mais la Vole Rapide est aussi isolée au milieu du salon. Elle ne dessert pas les parcelles riveraines, n'est jalonnée d'aucun croisement, n'est reliée à la ville que par un nombre d'échangeurs et « toboggans » limité, à partir desquels ne peuvent sortir ou accéder que des véhicules suffisamment rapides et motorisés (les mobylettes n'y sont pas autorisées). Surélevée, en contrebas ou en sous-sol, elle garde à distance le sol niçois. À l'ouest de la ville, la « chaussée sud » est au niveau des premiers étages. Dans les quartiers centraux les chaussées nord et sud atteignent les étages supérieurs et parfois les toitures. Une tranchée creusée dans la colline de Magnan et un tunnel dans celle de Cimiez leur ouvre un passage à travers le relief. La Voie Rapide est une infrastructure extrinsèque, tout en étant greffée à l'urbanité niçoise. En usant d'un néologisme, on pourrait dire qu'elle a été sciemment inexsérée d'un bout à l'autre de Nice.
Matière documentaire
Depuis six décennies, la construction de la Voie Rapide reste inachevée et depuis un demi-siècle de nouvelles sections sont ouvertes aux automobilistes. Pour rendre compte de la Voie Rapide, il a fallu l'expérimenter, en étant véhiculée, mais aussi - et finalement surtout - en la longeant à pied. Il s'agissait de documenter davantage son inexsertion que son usage motorisé. Cette démarche empirique a ensuite été articulée à un dispositif documentaire en deux volets et un ancrage théorique principal. Un ancrage théorique issu de l'hodologie, en l'occurrence la science des routes et de leur immédiat environnement, de leur conception, de leur réalisation, de leurs usages et habitation. Il est, de fait, des Niçois qui habitent tout contre la Voie Rapide et, au-delà, tous les Niçois sont amenés à fréquenter sa chaussée et à se trouver entre ses portiques. Des dispositifs documentaires ont été parallèlement mis en place, fondés sur une photographie topographique et sur plusieurs plongées dans les archives, occasionnant des collectes visuelles pareillement photographiques. Il s'agit ainsi de donner à lire et à voir les textes, cartes, graphiques, tirages et papiers divers que contiennent les dossiers administratifs et techniques. Il s'agit enfin de se demander : dans quelle mesure cette autoroute urbaine relève d'une sculpture civilisationnelle (celle d'une civilisation automobile sans entrave), d'un ouvrage d'art (sans commune mesure avec son environnement immédiat) et dépend de multiples transactions immobilières (parcelle après parcelle) et d'autant de micro-négociations (entre administrés et administration) ? Exproprier, expertiser, dédommager, reloger, résoudre des problèmes de maçonnerie domestique ou de cadencement des trains pendant la construction des portiques... Il y a là une poïétique de la Voie Rapide à la fois technique, administrative et domestique.
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