Le projet de retrouver l'unité de la philosophie de Bergson ne pouvait
être mené à bien que depuis la méthode qui en avait à proprement
parler fait une oeuvre. L'erreur fut de ne pas prendre en considération
le statut profondément réformé de la métaphysique qu'il instaure et
qui procède au retournement de la métaphysique traditionnelle : non
plus se fonder sur un premier principe, mais se fondre dans l'expérience
immédiate, c'est-à-dire descendre en soi-même, livre après
livre, vers des couches de plus en plus profondes de la durée concrète.
L'oeuvre entière doit se comprendre à rebours, en sorte que chaque
livre fournit les bases au livre précédent au lieu de le supposer, l'intègre
dans un cadre plus large et profond - sorte d'essais concentriques
où le dernier livre englobe les précédents. Il s'agit en un sens
d'une archéologie, mais comprise dans les limites indéfiniment
reculées de l'intuition, Bergson n'atteignant que dans son dernier
livre, le véritable principe agissant.
Il est dès lors possible de reprendre le mouvement unique qui traverse
l'oeuvre. En l'étayant des notes et des cours inédits de Bergson, nous
pouvions montrer comment chaque livre doit se prolonger dans le
suivant en gravitant à chaque fois autour d'un problème précis : la
liberté, l'union de l'âme et du corps, la causalité, la volonté enfin.
S'enfonçant dans des couches de durée de plus en plus profondes,
Bergson ne fait en vérité qu'approfondir un unique problème, celui de
la personne qui est pour la première fois pensée comme temps,
chaque livre privilégiant l'une de ses dimensions : le présent (Essai
sur les données immédiates de la conscience), le passé (Matière et
mémoire), l'avenir (L'Évolution créatrice), l'éternité (Les Deux
Sources de la morale et de la religion). C'est l'oeuvre entière qui
s'avère être un corpus sur le temps.
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