Annele Balthasar est publié et représenté en 1924. Le succès est
immédiat et se reproduira à chaque nouvelle mise en scène de la pièce.
Ici aucune facilité, aucun pittoresque. Une écriture forte et nue. Un
thème grave et universel : l'intolérance, l'exclusion, la persécution.
C'est une femme qui en est la victime, comme tant d'autres le furent :
on estime à quelque 100 000 personnes - bien sûr, en grande majorité,
des femmes - le nombre des victimes de la chasse aux sorcières.
Nathan Katz s'est directement inspiré du procès d'Anna Balthasar
qui a réellement eu lieu, à Altkirch en 1589, et décrit avec une parfaite
justesse la terrible mécanique qui, à partir d'une simple dénonciation,
fait enfler la rumeur, extorque les aveux et condamne à la mort.
Cette chasse aux sorcières, ce n'est pas au Moyen Âge qu'elle a eu
lieu, c'est à l'époque de Descartes : elle atteint son apogée aux XVIe et
au XVIe siècle (la dernière « sorcière » est exécutée en Suisse en 1782).
Ce n'est plus alors l'Église qui la mène, ce sont les États : ce ne sont
pas des inquisiteurs qui jugent Annele Balthasar, mais les magistrats
d'un tribunal civil. Plus grave encore : ces politiques de terreur
s'appuient sur une large adhésion populaire.
On le voit, la chasse aux sorcières ne relève pas d'un lointain passé.
Si personne n'imagine plus aujourd'hui des femmes forniquant avec
des démons, l'obscurantisme, le fanatisme, le machisme sont toujours
là et la désignation de « boucs émissaires » reste un instrument privilégié
des dictatures. En cette même année 1924 où Nathan Katz faisait
représenter son Annele Balthasar, à 300 kilomètres de là, dans la
prison de Landsberg Adolf Hitler rédigeait Mein Kampf qui désignait
à la vindicte publique non plus les possédées du diable, mais tous les
juifs. « Katz aime les hommes et les plaint, écrivait Guillevic en 1930,
il aimerait qu'ils changent et, comme il est bon, il espère en leur perfection.
[...] Je crois que Rilke l'aurait beaucoup aimé, lui qui aimait les choses
et l'humilité. Il est très grand, et les enfants des imbéciles contemporains
le sauront dans quelque dix ans. » Treize ans plus tard, sur la carte
d'identité française de Katz seraient apposés quatre caractères d'un
centimètre de haut : « Juif ».
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