Lire Along the railroad tracks - Une histoire allemande, de Roger Salloch, c'est cheminer aux côtés de Reinhardt Korber, peintre et professeur d'art, à Berlin au printemps 1935. C'est le suivre dans les rues, à l'ombre des cafés, sous les bourgeons des tilleuls de Unter den Linden. Dans la lumière diaphane d'un printemps radieux, à travers le mythe des trois Rois mages qui parviennent à échapper à la cruauté d'Hérode/Hitler, ce livre est un roman sur Reinhardt, et deux de ses étudiantes, Lotte et Rebecca, un trio d'esprits libres résistant au monde envahissant du Parti avec ses soldats et ses croix gammées.
Rebecca est juive, Lotte ne l'est pas. Lorsque la famille de Rebecca est forcée de quitter l'Allemagne, Rebecca est jalouse de Lotte qui restera sur place avec le professeur. Elle convainc Lotte que Reinhardt est tombé amoureux d'elle et, lorsque Rebecca s'en va, la jalousie de Rebecca devient la colère de Lotte, et la colère de Lotte devient sa passion.
Reinhardt Korber ne ressemble pas aux autres jeunes hommes du Berlin de 1935. Il n'est pas un héros, il s'efforce simplement à porter un regard vrai sur les choses, puis à les regarder à nouveau. Si l'Allemagne est sur les rails d'un chemin de fer allant vers la tragédie, Rebecca, Lotte et Reinhardt sont seuls. Ce ne sont pas des héros, mais leur histoire change presque l'Histoire...
Lotte parcourt du regard le reste de la pièce. Un cartel indique « Goethe ». Le tableau est toujours à sa place. C'est une étude sur les couleurs. Des triangles s'accrochent à des cercles, et l'ensemble de la toile forme un arc-en-ciel. Modeste, mais élaboré. Dans un monde où le noir est devenu prédominant, quelques nuances suffisent pour se faire comprendre.
- Ils ont oublié celui-là, observe Lotte.
Personne n'ose toucher à Goethe. Pas même le Parti. Lotte marche jusqu'à l'endroit où le tableau suivant aurait dû se trouver, un Schmitt-Rotluff. Il s'en souvient bien. Des danseuses et des chiens aboyant, des triangles bleus et des champs de couleur jaune.
- Que faites-vous ?
- Je me souviens.
Il lui raconte ce qu'il y avait là autrefois. Elle répète : « Des triangles bleus ? » Il lui montre comment le tableau était composé. Les triangles bleus à gauche, un panneau vert au milieu. Elle ferme les yeux, pas les oreilles : pour voir.
- C'était très beau, lui dit Korber avec conviction. Je crois que c'était mon tableau préféré.
- Vous êtes un romantique, dit-elle.
Pour une jeune fille, il y a beaucoup d'assurance dans cette assertion. Elle a rouvert les yeux et semble l'étudier. Le mot qu'elle emploie pour le décrire est lourd de sens. Presque dangereux par les temps qui courent. Au siècle précédent, le romantisme fut un raz-de-marée.
- Tu as sans doute raison, dit-il avec une nuance d'assurance et de fierté. Auquel se mêle autre chose, comme un souvenir de ce qui lui semblait vrai quand il était enfant. Et qui, soudain, l'attriste.
- Mon prof de dessin est un romantique.
Il ne répond pas.
- Rebecca sera tellement jalouse quand je lui dirai ce que j'ai découvert.
- Tu n'es peut-être pas obligée de le lui dire.
- Elle devine tout, de toute façon.
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