Abélard n'aura pas réussi à maîtriser le récit
de sa vie : au lieu de la glorieuse Passion philosophique
que seul il entendait écrire, une autre
Passion s'écrit malgré lui et à deux mains - la
passion de la maîtrise. Cette maîtrise, le philosophe
la désire sans oser se l'avouer. Et il la désire
sur les deux scènes qu'il investit tour à tour et
qui formeront les deux volets de cette étude, à
savoir la scène pédagogique et dialectisée du XIIe
siècle qui préfigure les combats d'une université
encore à venir, et cette autre scène apparemment
étrangère à l'exercice de la philosophie qu'est la
scène érotique. D'une scène à l'autre, il s'agira de
lire ce que le maître ne veut pas savoir de l'exercice
de la philosophie : que ce soit la férocité agonistique
qui double l'amour qu'il proclame pour
le vrai, ou l'érotisation du logos qui constitue la
tentation secrète et littéraire du discours philosophique,
érotisation que le philosophe veut
effacer, et qu'Héloïse persiste à infliger, malgré
lui et à son insu, au discours par trop édifiant
qu'il lui adresse.
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