Mars 2000 : un Conseil européen extraordinaire se réunit
à Lisbonne. Quoiqu'il n'ait pas fait les gros titres
et demeure inconnu du grand public, ce sommet marque un
tournant dans l'histoire de la construction européenne. Les
chefs d'État et de gouvernement des quinze pays membres
de l'Union se sont alors fixé «un nouvel objectif stratégique
pour la décennie à venir : devenir l'économie de la connaissance
la plus compétitive et la plus dynamique du monde».
À cette fin, ils ont ouvert le chantier d'un Espace européen
de la recherche (EER) qui entend organiser la production,
l'échange et la valorisation des savoirs sur le modèle du
Marché commun. Ce projet vise à orienter les activités de
recherche et d'innovation vers une finalité de compétitivité
économique. Son but n'est pas d'intégrer les systèmes
nationaux en recourant au droit communautaire, mais de
les mettre en concurrence au moyen de techniques managériales
censées insuffler un «esprit compétitif» dans les
laboratoires comme dans les administrations publiques.
Par la construction d'indicateurs de performance et leur
évaluation comparative (benchmarking), il s'agit d'inciter
les «chercheurs-entrepreneurs» à optimiser leur productivité,
et les gouvernants à aménager des conditions institutionnelles,
juridiques et culturelles attractives aux yeux
des investisseurs. Quantifier ainsi le travail scientifique et
l'art de gouverner n'est pas neutre. En explorant la genèse
et la rationalité au principe de l'EER, ce livre se propose d'en
déchiffrer les effets politiques sur la société européenne en
formation.
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