Lettres à Dominique Rolin 1958-1980
Reçue à Paris le mercredi 1er août 1979 à 6 heures.
(Mardi) Le Martray, le 31/7/79
Mon amour,
Oui, oui, on a eu raison sur tout, absolument : le retrait, le secret : farouchement, implacablement... C'est l'évidence : le temps est si bref, si long, si invraisemblablement court et long - tout, mais pas cette bouillie qu'ils en font, cette espèce de magma sans fibres... Ah, ah, la crise de l'énergie, le pétrole et maintenant le gaz ! Bon, ça ne fait que commencer. Mais l'Angleterre tient le coup, il paraît ? Très bon signe. Ça va à toute allure, le civilisé se voit soudain percuté en plein vol (augmentation des avions, tu as vu ?). Venise : les gesuati : l'orgue, à midi... Pas de pétrole en ce temps-là ? Pas de gaz ? Et Tiepolo quand même ? Sans électricité ? Aussi frais ?
Je t'aime, je t'embrasse,
Ph
Ce volume réunit deux cent cinquante-six lettres de Philippe Sollers à Dominique Rolin, depuis la rencontre des deux écrivains, en 1958, jusqu'à la parution de L'infini chez soi de Dominique Rolin et la fin de la rédaction de Paradis par Sollers, en 1980. Ces lettres incisives, émouvantes, rythmées, drôles souvent et d'une grande acuité, donnent à voir un amour hors du commun, mais aussi l'évolution surprenante d'une oeuvre, d'un corps et d'un esprit traversant par bonds audacieux ses « passions fixes » - la Chine, la politique, la science, la Bible, l'Histoire - et l'expérience de la littérature jusqu'à ses limites.
Et Dominique Rolin ? Sa parole, déjà présente, en filigrane, dans les lettres de Sollers, s'exprimera pleinement dans un prochain recueil. Voici donc le premier chapitre d'une longue et inclassable aventure amoureuse, unique dans l'histoire littéraire française.
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