« Je ne suis pas de la Résistance, je n'ai aucune part, si petite qu'elle soit, dans ces événements. » (20 août 1944)
Lorsque Jean Paulhan lui demande en mai 1943 s'il accepterait de succéder à Pierre Drieu La Rochelle à la tête de La Nouvelle Revue française, le jeune Jacques Lemarchand en est le premier « ahuri ». Né en 1908 au sein de la bourgeoisie bordelaise, élevé chez les marianistes, inscrit à la Sorbonne, il n'a publié que deux livres : R.N. 234, puis Conte de Noël, chez Gallimard en 1934 et 1937. Depuis 1941, il travaille comme archiviste au « Chantier des chômeurs intellectuels » du Ministère de la Marine, où il s'est lié d'amitié avec Jean Tardieu, Henri Thomas, Charles Braibant, Jean Lescure, André Frénaud et quelques autres, plus ou moins résistants. Il donne aussi des comptes rendus littéraires dans la presse collaborationniste : Je suis partout, La NRF, La Gerbe - où, en juillet 1942, il s'est livré à un « début d'agression contre l'esprit NRF », en raillant « l'intellectuel étriqué, menu, menu, constipé, que nous ont forgé vingt années de littérature pure, asphyxiante, mortelle ».
Bien que Jacques Lemarchand se sente « le jouet d'une manoeuvre » de Jean Paulhan pour arracher La NRF à la Collaboration, le rôle d'« homme de paille » le tente, qui le distrairait de son ennui. La « combinaison Lemarchand » fera long feu, car les autorités d'Occupation, méfiantes, ne donneront pas suite... Mais c'est toute une vie qui a changé de cap : proche aussi bien de l'ancienne génération des éditeurs de la maison (Paulhan, Arland, Parain) que de la relève (Camus, Queneau), Jacques Lemarchand appartient dorénavant au comité de lecture de Gallimard.
Tenu chaque jour à partir du 1er janvier 1942 et publié intégralement, ce journal enregistre par ailleurs la « situation sentimentale » de son auteur, qu'il estime « très compliquée, et pleine de menaces ». Le recensement lancinant des actes sexuels de Jacques Lemarchand laisse cependant apparaître un amour différent de « toutes ces histoires de femmes », celui qu'il éprouve jalousement pour une jeune femme qui l'a quitté : ce sera le thème du roman allusif et aigu qu'il publiera à la fin de l'année 1944, Geneviève.
Dans les pages de ce Journal, que Lemarchand voulut préserver du « risque de littérature », domine un incessant mouvement, nécessaire à sa survie dans Paris occupé : recherches d'argent, de copie, de nourriture, d'alcool et de cigarettes, petits trafics, marché noir, lectures des seuls livres autorisés par les Commissions de Censures, rencontres dans les cafés jusqu'à l'heure du couvre-feu et, malgré les alertes, séances de cinéma ou représentations théâtrales, pendant lesquelles s'est formé le futur grand critique dramatique de Combat et du Figaro littéraire...
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