"Lorsque, dans son numéro du 1er juin 1855, la Revue des Deux Mondes publia les Fleurs du mal, ce fut un étonnement et un succès. On admira la facture savante, la vigueur métallique du vers, mais plus d'un lecteur fut choqué de l'âcreté de la pensée. On était accoutumé à voir la poésie française ne jamais revêtir que des idées douces, tendres ou tristes ; la jérémiade des poètes se perdait dans le nuage des souffrances indéfinies ; la lamentation était vague et l'aspiration confuse. Avec les Fleurs du mal il n'en était plus ainsi ; l'auteur faisait l'autopsie de soi-même, et s'il se découvrait un cancer, il s'ingéniait à le faire toucher à celui qu'il appelait
Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère !
Le retentissement fut grand, comme pour toute oeuvre exceptionnelle ; entre les bravos et les murmures. Baudelaire faisait effort pour rester impassible, les critiques ne parvenaient point à s'entendre. Enfin ! disaient les uns : hélas ! soupiraient les autres ; le gouvernement intervint pour les mettre d'accord.
Dès que le volume eut été publié en librairie, on le déféra à la police correctionnelle : outrage à la moralité publique."
Marcel Du Camp
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