À l'issue d'un long entretien avec son ami Marcel Baudouin, «à Orléans, le dimanche 7 juin 1896», Péguy jette les bases de la construction utopique qui deviendra un an plus tard, après la mort brutale de son ami - dont il épousera bientôt la soeur - l'ouvrage intitulé Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse. C'est une des oeuvres les plus étonnantes de toute la littérature utopique, et l'une des plus insolites de Péguy. Ce n'est pas un «dialogue» - mais une succession de courts paragraphes, séparés par des blancs qui semblent être mis là pour marquer l'absence du grand ami disparu; et ce «premier» sera le dernier, puisque Péguy ne donnera aucune suite.
Dans cette oeuvre d'une extrême simplicité - presque toutes les phrases sont construites avec les seuls verbes «être» et «avoir» - Péguy procède par négations, inhabituelles en Utopie: si l'on comprend qu'il faille éliminer rivalités, haines, jalousies, mensonges et guerres, il est surprenant de voir que la Cité de Péguy ne se veut ni charitable ni juste, et qu'elle rejette égalité, mérite, émulation, renommée, gloire. Le principe de base est l'harmonie, mais toute relative: la Cité du Marcel ne sera pas «toute harmonieuse», mais seulement «la mieux harmonieuse» possible. Après avoir assuré la vie corporelle des citoyens, en recourant à un travail minimum à la charge des seuls hommes adultes et valides (trois à quatre heures par jour suffiront, précise Péguy dans son article «De la cité socialiste» - la semaine de vingt heures!), la Cité se préoccupera avant tout de la vie intérieure et du travail désintéressé, et mettra au premier plan l'art, la science et la philosophie. Surtout, elle sera ouverte à tous, sans aucune distinction possible, comme l'affirme le principe premier du livre: «La cité harmonieuse a pour citoyens tous les vivants qui sont des âmes.»
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