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Comme lorsqu’on vient de naître, ou qu’on revient peu à peu à soi, le regard d’abord s’accommode, il se règle et, juste avant de redevenir flou, acquiert une grande précision. On est dans un village ou dans une île - ou est-ce la grande banlieue d’une ville du Sud ? - pour le retour d’une famille d’émigrés ou bien vient-on seulement, après une très longue absence, d’arriver là pour des vacances. À moins qu’on ne les ait depuis longtemps quittés, ces lieux de rêve ravagés par les guerres et la dictature, pour les évoquer dans une sorte de rêve éveillé cette fois volontaire, à travers les brouillards lointains d’une grande cité industrielle. Partout cependant l’histoire est en train de se nouer : le récit lui-même est une aventure. Il n’y a pas de personnages principaux, l’auteur s’identifie à ce qu’il voit. C’est une sorte d’odyssée moderne, où, quand il parle, chacun est un autre lui-même, chacun différemment lui-même. Nul extérieur à cet enfer humain qui est aussi le paradis pour tous parfois, nul au-delà qui renverse d’avance, ou à la fin du monde, les données de cette histoire et souvent de ce drame, on le sait, sanglant ; mais l’urgente nécessité de bousculer d’ici notre façon de voir, ce qu’on appelle aussi notre mentalité. L’univers d’Ici-bas est celui où nous sommes, débordant de toute part les possibilités de nos perceptions individuelles, dans une succession de séquences où tout chaque fois recommence et la vie, comme on dit, continue malgré la faim, la peur, le plaisir - ou la misère. Au-delà de la mort de chacun elle aussi quotidienne, c’est donc bien, corps et âme, d’une passation de pouvoirs horizontale des uns aux autres qu’il s’agit, dans une société comme la nôtre où les vivants sont chaque fois seuls à vivre le temps tout entier, comme un cortège à la fois réel et mental de résurrections pas toujours manquées et de métamorphoses ! Et ceci à l’inverse même de l’exploitation religieuse de ces rêves ; il s’agit seulement d’un récit à la mesure de notre temps. D.G.